L’arrivée des GAFAM dans l’industrie du sport et l’émergence de nouveaux types de consommation du sport

L’arrivée des GAFAM dans l’industrie du sport et l’émergence de nouveaux types de consommation du sport

Le 30 mai dernier, l’édition 2021 de Roland-Garros débutait en présentant de nombreuses nouveautés aux fans de tennis dans le monde. La Fédération Française de Tennis présentait donc la rénovation intégrale du court Philippe Chatrier, les aménagements du parc dédiés à l’accueil du tournoi ou encore les sessions de nuit avec les affiches majeures de la journée.

En plus de ces nouveautés apportées à un des événements tennis les plus attendus de l’année, nous avons pu découvrir les premières diffusions des matchs sur Amazon Prime Video, plateforme de streaming détenue par le géant du e-commerce Amazon. Ainsi, depuis le dimanche d’ouverture du tournoi, les amoureux de tennis devront se tourner vers Amazon Prime Video pour regarder les matchs sur le court Simonne-Matthieu et les 10 sessions nocturnes. L’acquisition exclusive des droits sur les rencontres majeures des journées par Amazon au profit de France Télévisions a eu un écho retentissant dans le monde du sport. Cette acquisition symbolise parfaitement l’arrivée des entreprises majeures de la technologie, plus communément appelées GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), dans l’industrie du sport. Les récents partenariats entre LaLiga (Football – Espagne) et Microsoft, ou encore entre YouTube, détenu par Google, et la National Basketball Association (Basketball – États-Unis d’Amérique et Canada) confirment l’intérêt de ces entreprises pour l’industrie du sport.

Outre la capacité de ces sociétés à engager des fonds massivement dans l’industrie du sport et du divertissement, les GAFAM s’affichent clairement en tant que partenaires majeurs de l’innovation et du changement des modes de consommation dans le sport.

Des partenariats en faveur de la technologie et des données

En octobre 2020, les NBA Finals (Basketball – États Unis) se jouaient dans un contexte de crise sanitaire dû à la pandémie de COVID-19. Pour finir la saison, la NBA s’est installée dans une bulle sanitaire à Orlando et a misé sur une expérience spectateur entièrement digitale. La NBA s’est donc associée à Microsoft et YouTube pour proposer une expérience numérique à ses fans et un habillage du terrain entièrement digitalisé. L’expérience physique n’étant plus possible, l’expérience digitale devenait prépondérante. Quand Microsoft Teams était utilisée dans le cadre de l’expérience fan, YouTube servait de diffuseur officiel des Finals et des moments forts pendant les matchs.

Ce type de collaboration démontre encore une fois la capacité des GAFAM à s’adapter à des problématiques nouvelles pour définir ou, dans le cadre de la NBA, maintenir une expérience client dans l’industrie du Sport. La capacité de ces sociétés à structurer des solutions digitales aura donc été essentielle face à l’incapacité des ayants droits à accueillir du public pendant la pandémie.

Pour autant, ce phénomène de digitalisation accélérée a obligé les ayants droit à faire face à leurs lacunes dans ce secteur. Alors que l’analyse de données est devenue essentielle dans la performance sportive, la digitalisation de l’industrie sportive est en retard face aux nouveaux modes de consommation des jeunes générations. Désormais, les besoins de solutions nouvelles se retrouvent à la fois dans la billetterie, le sponsoring, la diffusion ou encore dans l’expérience dans le stade.

Face à ce besoin, les GAFAM apparaissent comme des partenaires idéaux pour rattraper le retard et proposer de nouveaux modèles adaptés à tous les modes de consommation. Par exemple, LaLiga (Football – Espagne) s’est associée à Microsoft afin d’apporter un ensemble de solutions pour améliorer la plateforme LaLigaSportsTV OTT, pour les fans, et pour les gestionnaires de stade. Ainsi avec un ensemble d’outils comme Azure, Dynamics 365, Power BI ou encore Azure Machine Learning, Microsoft souhaite proposer une expérience sur mesure aux fans sur tous les supports mais aussi permettre aux ayants droit d’avoir une pleine compréhension et exploitation des données disponibles lors des différents événements dans leur stade. Cette exploitation de données est essentielle lorsque l’on regarde la capacité d’engagement et de réactions suscitées par ces ayants droit. En effet, alors que les jeunes générations se désintéressent des diffusions classiques du sport, on observe toujours un taux d’engagement fort sur les contenus sportifs sur les réseaux sociaux ou lors de campagnes marketing. L’exploitation des différentes données permettrait donc de comprendre quelles sont les nouvelles attentes des clients et comment utiliser ce taux d’engagement au profit des ayants droit. C’est donc face à ces deux problématiques que l’expertise des GAFAM prend de la valeur aux yeux des ayants droit sportif.

Des partenariats en faveur de l’expérience client

En dehors de l’expertise digitale des GAFAM, l’industrie du sport et du divertissement se retrouve face à une tendance instaurée par ces acteurs : l’adaptation aux attentes des consommateurs. En effet, ces sociétés se présentant comme « centrées sur le client » s’adaptent constamment aux attentes nouvelles des clients. Les données récoltées au cours des utilisations diverses de leur produit servent alors d’informations pour anticiper les comportements et les attentes au cours de l’expérience client.

Face aux changements impactant l’industrie du sport, comme le désintéressement des jeunes générations ou encore la baisse du nombre d’abonnés aux programmes de sports traditionnels, l’approche centrée sur le client pourrait être bénéficiaire pour tous les acteurs. Récemment, nous avons pu voir des associations entre Twitch, plateforme de streaming spécialisée dans les jeux vidéo détenue par Amazon, et des ayants droit de sport traditionnels comme l’Olympique de Marseille (Football – Ligue 1 Uber Eats – France) ou encore l’AC Milan (Football – Serie A TIM – Italie). Ces partenariats visaient non seulement à proposer du contenu sur une plateforme visée par les jeunes générations mais aussi à exploiter la capacité d’échange et de communication proposée par ces plateformes. Ce type de partenariat permet alors de proposer du contenu tout en réunissant une communauté de manière digitale.

De la même manière, les rapprochements entre LaLiga et Microsoft ou encore YouTube et la NBA se font également en faveur du consommateur. En effet, alors que le système d’abonnement traditionnel s’essouffle, certains ayant droit s’associent à ses sociétés pour repenser des modèles moins engageants et plus ciblés sur les préférences des consommateurs. Ces nouvelles consommations tendent vers des solutions en pay per view, paiement à la demande, ou encore avec une flexibilité d’inscription et de désengagement. Ces solutions ont le mérite de faire rentrer de nouveaux acteurs dans les discussions pour les droits audiovisuels, ce qui a tendance à faire monter les enchères. Pour autant, sur la plupart de ces appels d’offre on observe un positionnement de ces acteurs sur une partie de ces droits, les droits plus prestigieux. En effet, Amazon est prêt à engager une somme conséquence pour les affiches phares de Roland Garros mais pas sur l’ensemble de la compétition. YouTube, de son côté, s’est engagé uniquement sur 16 matchs de Major League of Baseball (Baseball – États-Unis et Canada) et sur les Finals de NBA. Ces investissements sont donc essentiellement ciblés sur les rencontres sportives à forte audience. Ce ciblage engendre donc une baisse de l’attractivité de l’ensemble des compétitions, comme pour la Ligue 1 Uber Eats (Football – France), ce qui soulève la question de la légitimité de la répartition de revenus entre les clubs.

L’arrivée des GAFAM dans le sport sera donc sûrement synonyme d’amélioration pour l’expérience client globale, mais son arrivée peut se faire aux dépends de certains acteurs, dont les petits clubs. Alors que le projet de SuperLeague nous a montré les failles d’un tel projet (cf. Blog 8), il faudra maintenant se pencher sur les modèles associant les atouts d’une expérience digitale nouvelle prônée par les GAFAM avec les ancrages régionaux des ayants droit. Bien que ces deux éléments paraissent opposés, nous avons la conviction que le nouveau modèle pour l’industrie du sport se retrouvera dans cette association.

La remise en cause de l’importance des fans par les ayants droits sportifs

Lors de l’officialisation du lancement de la Super League, les présidents fondateurs ont notamment mis en lumière l’impact du Covid sur leur économie et la redistribution des revenus insuffisante effectuée actuellement lors de compétitions comme la Ligue des Champions et l’Europa League, deux compétitions dirigées par l’UEFA. Ces clubs ont donc considéré que leur valorisation média serait bien plus importante au sein d’une compétition fermée avec les « meilleures équipes du monde ». En effet pour la majorité des clubs majeurs européens de football, les droits médias sont la principale ressource de revenus, loin devant le sponsoring ou la billetterie.

Cette décision prenait sens dans une optique de croissance et de structuration autour d’un contenu média de plus en plus important. Cette dynamique a été récemment symbolisée par les renouvellements des droits média de ligues fermées comme la NFL (Football Américain – Etats Unis) ou la NBA (Basketball – Etats Unis), valant respectivement 10 milliards de dollars et 2,7 milliards de dollars par saison.

Pour autant, l’erreur majeure de ces clubs fut la remise en cause de l’apport de leur base de fan locale. En effet, le modèle européen du sport a historiquement placé les clubs de sport comme au cœur des communautés civiles, en jouant un véritable rôle social et non uniquement d’excellence. Même si les académies de ces clubs majeurs misent sur une formation d’élite très jeune, l’attachement populaire découle de ce rôle social traditionnel. Le club est attaché à une ville, et la population locale est attachée à ce club. C’est une des différences fondamentales avec le sport professionnel américain qui se structure autour de franchises attachées à des marchés. Le départ d’Oakland des Raiders (NFL – Etats Unis) pour Las Vegas en 2020 est le dernier exemple en date.

Ces bases de fans locales contribuent alors non seulement aux recettes billetterie et merchandising des clubs mais aussi à la diffusion d’une communication à impact global pour l’ensemble de la ligue. Cet attachement et cet apport doit être valorisé par les institutions au risque d’avoir un mouvement populaire et, dans la plupart des cas, politique contre les décisions du club professionnel.

Se pose alors une problématique essentielle pour l’expérience fan au sein d’un club, comment valoriser cet attachement ?

Vers une nouvelle valorisation de la décision des fans ?

La pandémie du Covid-19 nous aura donc rappelé l’importance de l’engagement des fans pour le sport malgré le fait qu’ils ne soient pas présents dans les enceintes sportives.

En effet, les 12 institutions fondatrices de la Super League doivent encore faire face aujourd’hui à de nombreuses critiques concernant cette décision. Ils payent désormais une décision qui a été prise de manière élitiste sans l’accord des fans et des communautés locales. Une décision de telle ampleur aurait pu être soumise à validation par ces communautés. Outre le fait que le mouvement d’opposition aurait pu être identifié en amont, engager une consultation avec les fans aurait pu permettre de faire valoir les arguments de ces institutions face à la FIFA et l’UEFA sans entacher leur image globale.

Par opposition de nombreuses décisions peuvent être entreprises avec l’accord des fans, permettant de souligner l’engagement populaire en faveur du club tout en anticipant les réactions possibles face à cet événement. Par exemple, cet été on a pu voir le SU Agen (Top 14 – Rugby – France) organiser une consultation populaire pour désigner le nouveau logo du club avec un concours de design et une phase de présélection faîte par les fans.

Ce modèle n’est pas sans rappeler le modèle des socios du FC Barcelone, du Real Madrid, de l’Athletic Bilbao ou encore d’Osasuna (Liga BBVA, Football, Espagne). En effet les socios sont des supporters actionnaires qui ont le droit de voter sur des décisions symboliques comme la rénovation du Stade ou l’élection du président. Ces supporters bénéficient alors une véritable voix dans l’organigramme décisionnel de ces institutions. Même si toutes les décisions sont contestables, certains choix symboliques sont automatiquement soumis à l’avis des socios en tant que consultation pour anticiper l’avis populaire.

Nous avons la conviction qu’une affaire comme la Super League aurait pu être évitée avec une meilleure valorisation des fans. Pour cela, de nombreux outils sont à la disposition des clubs afin de mettre le fan au centre de sa politique.

Récemment des sociétés comme Socios.com s’appuient sur la technologie de la blockchain pour proposer aux fans d’acheter des Fan Tokens. Ces actifs numériques entièrement fongibles donnent des droits de vote et d’autres avantages pour les supporters de clubs associés à cette initiative. Le Paris Saint Germain, le FC Barcelone, l’AC Milan ou encore l’UFC se servent aujourd’hui de la technologie de Socios.com. De la même manière, on a pu voir des institutions comme Vitality (ESports – France) ou encore la Formula E se servir des réseaux sociaux comme Twitter, Twitch ou Instagram pour relayer des concours, idées de contenus ou de partenariats. Cette activité permet à la fois de garder un contact fort avec les fans mais aussi de communiquer autour de sa marque en dehors des événements.

Une politique centrée sur les fans, faîte ou validée par les fans, aura donc non seulement un soutien populaire affirmé mais pourra avoir un rayonnement supérieur grâce à l’engagement de levier engendré par les échanges des fans autours de ces politiques. En cette période où la plupart des fans se retrouvent éloignés de leurs sources de divertissement favoris, il est primordial de valoriser et de récompenser leur apport dans toutes les institutions. L’industrie du sport s’est bâtie et doit encore se construire autour de l’engouement des fans. L’échec de la Super League servira finalement d’exemple pour toute cette industrie.