Le mouvement sportif face à l’individualisation de la pratique sportive

En septembre 2020, la ministre déléguée aux Sports, Roxana Maracineanu s’alarmait sur la situation du mouvement sportif français en projetant « une baisse de 20% à 30% du nombre des licences ». Bien que cette accélération brutale de la baisse puisse s’expliquer en partie par la pandémie de Covid-19, il serait néanmoins réducteur de justifier cet amoindrissement par la cause unique de la crise sanitaire.

En effet, le sport français comptabilise une baisse lente mais certaine du nombre de ses licenciés depuis le début des années 2000. Cette baisse soulève alors plusieurs questions, à la fois sur la pratique sportive en elle-même et sur la structure du sport.

Les Français seraient-ils moins sportifs ? La structure du sport associatif est-elle de moins en moins adaptée à la pratique ? Quelles sont les nouvelles pratiques sportives en croissance et quels sont leurs principaux atouts ? Dès lors, l’étude de la baisse du nombre de licenciés en France oblige donc à se questionner sur la structuration de la pratique du sport et ses changements dans son entièreté.

Le phénomène d’individualisation du sport

Tout d’abord, lorsque l’on regarde la baisse du nombre de licenciés en France, il est nécessaire d’éviter le piège des associations faciles. Car avant la crise du Covid-19, la baisse du nombre de licenciés en France n’était pas associée avec la baisse de la pratique sportive en général. Le rôle de la pandémie peut être finalement considérée davantage comme un accélérateur du phénomène que comme une réelle cause.

Selon un rapport du ministère de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, on observe une augmentation de près de 25% de pratiquants sportifs réguliers entre 1988 et 2015. Cette augmentation du nombre de pratiquants s’explique pour deux raisons majeures.

D’une part, l’essor de la pratique sportive en France et de manière internationale se justifie par la féminisation du sport depuis les années 60. Cette percée féminine dans la pratique sportive est un aspect des changements dans la société dans sa globalité. Le plus large accès au monde du travail, l’élévation du niveau d’éducation, l’autonomie au sein de la famille sont des facteurs déterminants de la féminisation de la pratique du sport. S’ajoute à cela l’attention portée au corps et la promotion du sport en tant que vecteur de la santé. Tous ces éléments mettent donc en lumière une augmentation considérable de la pratique sportive féminine relevée de manière encore plus forte dans le milieu urbain. Il est intéressant de constater que certaines pratiques en France se rapprochent d’une parité parfaite entre les pratiquants de sexe masculin et ceux de sexe féminin. Parmi les 13,5 millions de pratiquants du running au moins une fois par semaine, on ne compte pas moins de 49% de femmes. Cette population a presque doublé en l’espace de 5 ans.

D’autre part, l’essor de la pratique sportive s’explique par la promotion du « sport santé » en France mais aussi à l’international. En effet les deux raisons majeures de pratique d’une activité sportive sont l’entretien de l’apparence et la recherche de bienfaits pour la santé. Lorsque l’on associe à cela la flexibilité des horaires de pratique comme premier critère de choix d’activités sportives, la popularité grandissante des pratiques comme le fitness, le running, le CrossFit, la slackline ou encore le skateboard devient facilement considérable.

Les Français sont donc devenus de plus en plus sportifs avec le temps. Dès lors, pourquoi cette hausse de la pratique sportive ne donne-t-elle pas lieu à une hausse des licences ?

Le ralentissement du modèle associatif

Lorsque l’on étudie la hausse de la pratique sportive sur les 30 dernières années, on se rend rapidement compte que les causes de cette hausse entrent en opposition directe avec la structuration traditionnelle du sport.
À partir du XIXème siècle, le sport de compétition était un vecteur d’intégration dans une communauté sportive. Le sport était vu comme un moyen de se rassembler autour d’une passion commune. Ces communautés se structuraient donc autour d’institutions sportives comme une fédération, un club ou une association. Ces institutions mettaient en place les dispositifs et les règles pour organiser le sport et pouvoir comparer les performances. Cela supposait donc de pratiquer le sport de la même manière, dans le même espace, selon les mêmes règles. La comparaison entre les performances est assurée par le biais d’organisations fédérales ayant compétence à un niveau national puis international. Par conséquent, jusqu’aux années 2000, les communautés sportives se structuraient autour d’un objectif commun : la compétition, et d’une organisation commune : l’association sportive.
À partir des années 2000, on a donc observé un changement dans la pratique et dans la structure du sport. Cette période est symbolisée par un abandon progressif de la structure sportive, jugée contraignante, et un essor du « sport santé » symbolisé par le running et le fitness. En effet, une course à pied ou un entrainement fitness nécessite moins d’organisation et de temps qu’un entraînement de rugby rassemblant une trentaine de personne dans un lieu défini. Les contraintes liées à la pratique en groupe associées à l’avènement et la promotion d’objectifs centrés sur la personne ont eu pour conséquence l’avancée progressive de la pratique sportive individuelle en dépit des associations sportives.
Ce sont donc ces contraintes liées à l’adhésion à une association sportive qui justifient à la fois la baisse du nombre des licenciés mais aussi l’augmentation de pratiques sportives individuelles. Pour autant, certaines structures sportives s’adaptent pour réduire les contraintes liées à la pratique tout en accentuant les facteurs de leur réussite : la compétition et la communauté.

La digitalisation, relai idéal pour les communautés sportives

Face à ces données, une nouvelle problématique se pose, comment faire coïncider les aspects de communauté et de compétition sans pour autant que la pratique ne soit contraignante ? Certaines disciplines comme l’Athlétisme, la Natation, le Cyclisme ou encore le Tennis nous ont déjà donné un élément de réponse grâce au digital.

La digitalisation, selon Michel Serres dans « Petite Poucette », se définit comme l’action de « donner la capacité technologique de diffuser, consulter, composer, enregistrer, transformer, partager à l’échelle de la planète et de manière instantanée de l’information. » C’est donc cette information qui permet de nous comparer et donc de concourir face aux autres.

Des sociétés comme Adidas avec Runtastic, Strava (Cyclisme, Course à pied) ou encore SportHeroes (Course à pied, Cyclisme, Natation) se sont concentrés pour exploiter ces pratiques individuelles tout en apportant une dimension communautaire et compétitive. En exploitant les données GPS du mobile de l’utilisateur, l’application est capable de résumer l’activité quotidienne ou la sortie du sportif et de la partager sur la plateforme. Récemment, SportHeroes a pu mettre en place des courses virtuelle via leurs applications ou directement pour le compte de marques ou d’ayants droits. Ces courses nécessitent une inscription digitale et l’utilisation d’un tracker GPS lors de la pratique. Les participants peuvent alors concourir de la même manière qu’une compétition officielle sans pour autant devoir se rassembler physiquement et effectuer le même parcours. Les données seront alors centralisées et analysées pour délivrer un classement en temps réel pendant la période de compétition. Ainsi, grâce aux outils digitaux, la compétition peut être simplifiée et les sportifs peuvent avoir accès à une communauté de passionnés.

Aujourd’hui, et encore plus pendant et après la crise sanitaire du Covid-19, les associations sportives traditionnelles ont tout intérêt à considérer les solutions pour limiter les contraintes liées à la pratique. Pour certains sports, le digital se révèle comme une alternative fiable pour proposer plusieurs offres à leurs adhérents. La Fédération Française de Natation avec Swimming Heroes ou encore la Fédération Française de Tennis avec Ten’Up ont pris le tournant du digital pour réduire les contraintes liées à leur sport et promouvoir les adhésions au sein de leur association.

Bien que d’autres réponses puissent être apportées selon les problématiques particulières à certains sports, la capacité et la possibilité d’exploiter le phénomène d’individualisation de la pratique seront un début de réponse du mouvement sportif français face au phénomène de baisse des licenciés. Le prochain défi du sport français sera donc d’associer la pratique individuelle avec les communautés sportives. Cette association n’a rien d’évident pour autant nous sommes persuadés qu’elle sera bénéfique pour l’essentiel : les passionnés de sport.